La résistance, petite et grande

Un homme en chapeau mou et long manteau sous une lumière rouge, l’image même du résistant de l’ombre. Autour de lui, des costumes accrochés à des chaînes, comme des corps pendus. Tout au long de « Résister c’est exister », François Bourcier les endossera l’un après l’autre pour ressusciter ces cadavres, qui retourneront vite à la mort, fusillés pour la plupart sur la chaussée ou dans une cave.
Mais il donne à chacun le temps d’accomplir le petit acte de résistance qui fera partie de la Grande : le gendarme qui avertit un gamin juif du danger qu’il y a à répondre « Les vrais ou les faux ? » à une demande de papiers, la maîtresse d’un officier allemand qui entretient chez lui des doutes sur la fidélité de sa femme restée à la ferme, le proviseur qui transforme un salut milicien en geste obscène.
L’acteur réussit l’exploit de faire rire la salle sans jamais rire de ces petits résistants. Séance d’auto-satisfaction alors, ce retour sur un passé honorable et lointain ? A la fin, il apostrophe les spectateurs sur la date de la rentrée prochaine. Pourquoi ? Mais pour organiser la résistance contre la traque aux sans-papiers avec des enfants à l’école. Assimiler cette campagne à la lutte anti-nazi ? Non, montrer que l’existence ne vaut que si l’on résiste à l’injustice, d’où qu’elle vienne.

François Bourcier revient à lui après le spectacle.

Denis Mahaffey, l’Union 27/05/09

VO en Soissonnais, Quel festival !

Le dernier spectacle, « NOs LIMITEs », a eu droit à une standing ovation.

Le rideau est, dimanche soir, retombé sur VO en Soissonnais, une 5e édition particulièrement riche en rires et en émotions.
QUE retiendra le public de la 5e édition de VO en Soissonnais ?
Sans aucun doute, plein de belles choses ! Il y en aura eu, cette année encore, pour tous les goûts. Les organisateurs ont fait le décompte des entrées de ce festival 2009 : 3 400 personnes sont venues applaudir les spectacles au programme, et ce, malgré la défection de 800 scolaires pour cause de pont de l'Ascension.
« C'est un grand signe de confiance accordé à VO », se félicitait son président, Jean-Pierre Pouget, dès dimanche soir.
S'il fallait, à l'instar du festival de Cannes, délivrer des récompenses ?
Le prix d'interprétation féminine irait conjointement à Maud Ivanoff et Émilie Wiest, les deux comédiennes qui se partageaient la microscène du Nautilus, leur camionnette des années soixante, transformée en théâtre de poche, qu'elles avaient stationnée place de l'Hôtel-de-Ville.
Palme d'Or
Le prix d'interprétation masculine pourrait, lui, être attribué, ex-æquo, à Eno Krojanker et Hervé Piron, les comédiens bruxellois du Petit déjeuner orageux un soir de carnaval, du théâtre dans le théâtre, déjanté mais efficace. Le prix du public serait décerné, à NOs LIMITEs, une « pièce dansée » hip-hop, aux accents funk, qui fascine par les prouesses, autant chorégraphiques qu'athlétiques, des deux danseuses et quatre danseurs. Un spectacle de haut vol, proposé pour clore cette édition 2009, que les spectateurs du Mail ont salué avec une longue, et méritée, standing ovation.
La Palme d'Or irait enfin, sans la moindre hésitation, à Michèle GuiGon pour La vie va où ?
Elle est seule en scène dans ce spectacle qui est un modèle de finesse, d'émotion et d'humour. La comédienne s'y attaque notamment au tabou du cancer, un sujet qu'elle connaît bien pour y avoir été confrontée dans sa chair.
Un sacré bout de femme pour un sacré festival !

Philippe Robin, l’Union 26/05/09

Bien, malgré la douleur

Deux hommes nous attendent déjà sur scène, debout, dans l’ombre. Le spectacle commence. L’acteur et le danseur se mettent en mouvement pour danser une déchéance physique, et le réconfort que l’un apporte à l’autre.
Vincent Dussart, acteur, commence à parler, comme si nous étions déjà au courant. De sa voix grave il dit un texte, grave aussi. Un homme revient sur les derniers jours passés avec son amant, mourant du Sida. Ensemble, ils ont pris un long bain. Les mots sont simples, mais écartés du réalisme par les répétitions et cadences. En contrepoint, Pierre Boileau, danseur, met en pas l’agonie d’un corps, chorégraphiée par Rachel Mateis. Sur les côtés de l’estrade sont projetées en même temps ses images de peau, agrandies jusqu’à devenir des paysages, puis d’un corps, d’une main qui caresse. Suivent des séquences dans lesquelles un homme affaibli à mort est soutenu, étreint par son compagnon. L’image des corps nus se démultiplie, ralentit, se répète.
Le texte, comme la danse, dit que l’amour, d’un corps à corps affamé, devient, en présence de la mort annoncée, tendresse et délicatesse, mais qui bouleversent autant les sens. « Je ne l’ai jamais vu si beau. » Le bonheur des amants proclame une victoire sur la souffrance. Comment ça va, demande-t-on ? « Bien, malgré la douleur. »

Vincent Dussart (à gauche) et Pierre Boileau, l’acteur et le danseur.

Denis Mahaffey, l’Union 28/05/09

De complices en rivaux

Après l’histoire de Boucle d’or racontée en quelques phrases par le chorégraphe Benoît Bar, trois hommes viennent sur scène, danser l’après-Boucle d’or des « Trois ours ».
Dans une chorégraphie à grands mouvement déliés, pleine de trouvailles et d’humour, les trois frère se rudoient, se taquinent, se tombent dessus, mais sur un fond d’affection solide. C’est lorsque l’un d’eux trouve une robe rouge – trace de l’intruse et représentant pour ces mâles le principe de la féminité – que de complices ils deviennent rivaux, cachottiers, jaloux, violents même. Leur belle entente est rompue. Cependant, c’est eux qui doivent vivre ensemble, car l’objet de leur désir a disparu à jamais. Ils retrouvent un équilibre, plus mûrs, plus désabusés, plus réalistes.
Autant que l’histoire du roi Tsongor (voir l’Union du 23 mai), ce ballet est une épopée sur les forces qui bousculent nos vies, racontée avec humour et concision.
Pour les jeunes enfants qui remplissaient la salle, cependant, le plus important était peut-être simplement de voir de leurs yeux que la force masculine peut tout à fait s’allier à la tendresse pour d’autres hommes.

Après le spectacle, les trois danseurs reprennent leurs personnages pour l’Union.

Denis Mahaffey, l’Union 26/05/09

« Giacomo », le comique en italique

Gilbert Conté s’agrippe à la valise de l’immigré.

Comme d’habitude, pourrait-on dire, l’enchanteur Gilbert Conté insuffle la vie à tout un monde. « Giacomo » raconte son départ avec ses parents de l’Italie pour participer aux « Trente glorieuses » » en France. Il campe tous les personnages, donne toutes les répliques, joue toutes les situations.
Il est moqueur, mais cela ne l’empêche pas d’être tendre avec ces personnes. Pour chacun, il saisit la faiblesse fondatrice et, en quelque sorte, la met en italique jusqu’au paroxysme. Chez Giacomo c’est sa naïveté, sa façon de vivre d’étonnement en étonnement. C’est autant vrai pour les matamores. Qui est plus vulnérable que le vociférant Rocco, convaincu que sa femme est une traînée, juste parce qu’elle se promène partout en nuisette courte ?
Les racines du comique selon Conté plongent dans la tristesse. Les rires qu’il suscite en sont enrichis, car ils contiennent aussi un élément de tendresse.
La pièce finit sur un constat terrible. La génération des parents nourrit l’idée de rentrer fortunée au pays, mais leurs enfants sont français. Le copain Jesus annonce comme une catastrophe la décision familiale de rentrer en Espagne. L’exil a changé de pays pour lui.
Gilbert Conté tient un deuxième volume, « Giacomo et Monsieur Molière ». Suffit-il de le réclamer pour VO 2010 ?

Denis Mahaffey pour l'Union

« Le Nautilus » Le courant passe

C'est sans doute le spectacle le plus intriguant de cette 5e édition de VO en Soissonnais. On y vient donc, un peu, par curiosité. Pour découvrir ce qui se cache derrière ce « Nautilus », pas le sous-marin du Capitaine Némo mais cette vieille camionnette Peugeot de 1962 stationnée, jusqu'à ce soir, à Soissons.
Au bout du tapis qui conduit les deux seuls spectateurs présents à chaque représentation, il y a une rencontre, un face à face avec l'une des deux comédiennes, Maud Ivanoff et Emilie Wiest, alternativement en scène. Un simple voile sépare l'interprète de son public, invité à choisir l'un des dix textes au menu, écrits spécialement pour la compagnie des Trois Temps. Ensuite, la magie du théâtre, de la proximité et des mots opère. On se laisse embarquer avec délice dans l'aventure.
Quand le voyage s'arrête, une petite dizaine de minutes plus tard, on a déjà envie d'y regoûter.

Philippe Robin, l’Union 24/05/09

« Coupure à vue »

Il fallait le vocabulaire bien vissé dans le cerveau pour sortir indemne du spectacle « Coupure à vue » donné par la compagnie Alis de Pierre Fourny. Sans cela, la gymnastique des mots qui jouent dans ce spectacle pourrait faire craindre à un distrait que les mots ne sont pas plus prosaïques que la musique, et qu’il subit les premiers assauts de la démence langagière.
Le propos est de découvrir la vie autonome et cachée des mots, que les trois acteurs entreprennent en les coupant en deux – horizontalement, c’est tout le secret. C’est présenté par une conférencière singulièrement pédante, mais si sérieuse qu’il faut un moment pour y entendre, non pas la sémiotique que une loufoquerie.
Vaguelettes lumineuses
Une anecdote à la « Code da Vinci » révèle la vérité que cherche à cacher le « vase de Soissons », puis jongle les demi-lettres pour en faire « urne de salopard ».
L’exubérance alphabétique contraste avec l’espace scénique obscur, les costumes noirs, la retenue du jeu d’acteur. Le comique flamboie d’autant plus dans ce cadre sobre.
Il y a des moments d’intense beauté scénique, comme lorsque des lignes horizontales de lumière se déplacent de haut en bas sur la scène, interrompues par des corps et des voiles qui créent des courbes, vaguelettes lumineuses sans fin.

Maud Bouchat, comédienne d’Alis, répond aux questions après le spectacle.

Denis Mahaffey, l’Union 24/05/09

C'était une demande du public. C'est fait. VO en Soissonnais propose désormais des spectacles pour les tout-petits.

Le spectacle terminé, les enfants peuvent (re)découvrir leurs propres mains.

LE lieu de représentation, un Autoc'Art bariolé qui peut accueillir quarante spectateurs, était déjà de nature à attiser la curiosité.
Ce bus, pas comme les autres, a, hier matin - avant de prendre la route de Venizel -, fait étape dans le quartier de Presles. À la maternelle Louise-Michel, ce sont les écoliers de deux classes de petite et moyenne section qui ont assisté au spectacle « La Brouille » adapté du livre de Claude Boujon publié à « L'École des loisirs ».
Destiné aux enfants de 18 mois à 6 ans, « La Brouille » est un spectacle de mains, celles, incroyablement expressives et pleines de dextérité, de Philippe Saumont. Cet étonnant mano a mano se passe sur une micro-plage de sable, un territoire que les deux mains découvrent ensemble, puis se disputent avant qu'il devienne le lieu de leur réconciliation, à l'ombre d'un mini-parasol.
Les mains y révèlent toute leur sensibilité et ne masquent aucun de leurs sentiments. Ces mains sont muettes mais elles savent parler au jeune public comme personne, suscitant alternativement émerveillement, surprise et questionnement.
Le comédien… passe la main
Le spectacle terminé, les enfants peuvent, tout près de l'Autoc'Art, prolonger l'aventure en (re) découvrant leurs propres mains grâce à des jeux et… de simples gants en laine dont ils apprennent un tout autre usage.
« La Brouille » sera rejouée ce samedi à 11 heures et 16 h 30 place de l'Hôtel-de-Ville.
Aujourd'hui et demain, d'autres rendez-vous sont proposés au jeune public - bien dans l'esprit de « l'école du spectateur » voulue par VO en Soissonnais.
« Tarzan in the garden », qui sera présenté au centre social de Presles aujourd'hui à 11 heures et 16 h 30, est visible dès 11 ans. Ce spectacle loufoque est né de la rencontre entre un artiste plasticien, inventeur du personnage du Sylvestre, une spécialiste de la marionnette et un auteur. Cela débouche sur une conférence pseudo-scientifique irrésistible.
Également pour les enfants dès 10 ans, « Giacomo, l'enfant de la cité » sera, lui, présenté samedi et dimanche à 14 h 30 à la salle des fêtes de Septmonts. L'auteur et interprète, Gilbert Ponté, y livre sa propre histoire.
Son personnage n'est qu'un gosse, au début des années soixante, quand il arrive d'Italie avec ses parents, à la recherche d'un travail et d'une vie qu'ils imaginent meilleure, sur fond de grande Histoire, de politique et de racisme.

Philippe ROBIN, l’Union 23/05/09

VO au jour le jour

Rencontré dans l’ancien atelier de fonderie au lycée Léonard de Vinci, lors du spectacle « Lu santo jullare Francesco », Kevin Delval, élève de 2e année extrêmement attentif à la pièce. « J’étais volontaire pour assister, car l’acteur Gilbert Ponté avait travaillé avec nous dans les classes. J’irai voir d’autres spectacles au festival. »

DM l’Union 22/05/09

Récital à deux voix

Comparée à l’atelier de fonderie du lycée de Vinci avec son haut fourneau et son échelle à crinoline, ou la verdure de Cuffies, la grande salle du Mail paraît un peu conventionnel pour un spectacle de « VO ».
« La mort du roi Tsongor », adapté du livre de Laurent Gaudé, est une épopée africaine pleine de serments, de guerres, de quêtes, de barbaries, et de questions de destin, de fidélité et de honte. La mise en scène confie cette histoire trépidante à une seule voix, celle de l’acteur Olivier Letellier, qui la raconte sans la jouer. Tout est centré sur la parole, le jeu corporel restant restreint.
Mais le spectacle est à deux voix. La violoncelliste Julia Läderach accompagne les torrents de paroles par un autre récit en contrepoint, portant son sens avec une économie qui contraste avec le texte. En parallèle à l’histoire à mots auxquels il faut prêter attention, cette histoire sonore atteint le spectateur sans besoin d’être comprise. Par moments, la musique devient l’histoire, et les paroles ne font que l’accompagner.

Olivier Letellier et Julia Läderach sur la scène du Mail.

Denis Mahaffey, l’Union 23/05/09

Un saint peu commode

Même les admirateurs de François d’Assise devaient parfois lever les yeux au ciel devant sa bonté intransigeante, sa joyeuseté béate, ses prêches peu liturgiques, sa position strictement anti-capitaliste (pas d’accumulation ni d’argent ni de biens, ni même de dons). Un saint est rarement commode, c’est son signe distinctif.
Dans « Lu santo jullare Francesco », pièce inédite de Dario Fo, Gilbert Ponté joue son histoire sur le registre de la comédie burlesque, quoiqu’avec une surprenante fidélité à la biographie. Comme d’habitude avec cet acteur, il peuple tout seul la scène : narrateur, Francesco, sa mamma italianissime, évêques et même le Pape. Il le fait avec une éloquence corporelle qui, loin de n’être que de l’exubérance, est réfléchie et précise. Les qualités d’un mime, mais avec la parole en prime. Ah, le bonheur de voir Jésus aux noces de Canna, un peu grincheux de devoir interrompre sa conversation et s’improviser vinificateur – mais bon, d’accord, il y a des miracles qui ne peuvent pas attendre !
Les lycéens de Vinci qui formaient le public ont été saisis, dès l’arrivée du narrateur chapeauté avec sa valise. Voilà un théâtre qui, loin de viser le naturalisme télévisuel, se joue du réalisme pour mieux attirer l’attention sur la nature humaine.

Gilbert Ponté, mime avec la parole en prime.

Denis Mahaffey, l’Union 23/05/09

VO au jour le jour

Croisée à l’inauguration du festival, Hortense Garapon, professeur de français au Lycée Léonard de Vinci. Ses élèves ont travaillé avec Gilbert Ponté, qui joue deux spectacles cette année. « Ce que j’apprécie dans VO est que le théâtre y vient vers les autres, au lieu d’attendre ailleurs. » De Presles à Cuffies, de Septmonts à Belleu, voilà le théâtre de proximité !

DM, l’Union 22/05/09

Ils jonglent avec les mots

Pour la 5e édition de VO en Soissonnais, les organisateurs avaient promis du rire.
Dès mercredi soir, au Mail, il était effectivement au rendez-vous avec « Pièces détachées/Oulipo », un spectacle où les comédiens, mis en scène par Michel Abécassis, jonglent avec les mots écrits par Raymond Queneau, Georges Perec, Marcel Bénabou, Harry Mathews ou encore Oskar Pastior. Ce, dans la grande tradition de l'Oulipo, ce groupe fondé en 1960 par François Le Lionnais et Raymond Queneau, avec « Ou » pour Ouvroir, « Li » pour littérature et « Po » pour... potentiel.
Nicolas Dangoise, Pierre Ollier et Olivier se livrent ainsi, sur scène, à un incroyable ping-pong langagier d'une étonnante musicalité.
Les mots sont à la fête à un rythme effréné, entraînant le public - très fourni pour cette soirée d'ouverture - dans un tourbillon aussi loufoque que brillant.

Trois excellents comédiens pour des textes jubilatoires.

Philippe Robin, l’Union 22/05/09.

FESTIVAL : Les V.O mélangent les genres

Événement culturel majeur dans l'Aisne, le festival V.O en Soissonnais revient avec une 5e édition particulièrement métissée et sans frontières entre les disciplines. Un mélange des genres qui se déroulera du 19 au 24 mai.
Du théâtre, bien sûr, mais aussi de la danse, du slam, du cirque, du théâtre d'objets, des marionnettes et autres arts visuels… Autant d'univers artistiques bien distincts, réunis en harmonie dans ce festival V.O en Soissonnais, qui se veut décidément très ouvert et surtout très chargé. Sur cinq jours, pas moins d'une trentaine de rendez-vous sont donnés au public. Des créations partagées entre rire et larmes, agrémentées d'une langue toujours poétique et résolument contemporaine. A voir !

Giacomo, l'enfant de la cité

Journal "l'Aisne nouvelle" du jeudi 15 mai 2009